Sur cette grande piscine à l’eau parfaitement limpide, poussent des stalagmites colossales. J’ai envie de les lécher, mais mes maigres connaissances scientifiques me rappellent que je risque d’y rester collée, et d’y perdre ma langue. 
Il y a de grands matelas en mousse flottant sur la piscine, il fait frais. Je m’entretiens avec une fille, pas très grande, pas plus d’un mètre cinquante, d’origine maghrébine, aux traits réguliers. Elle a des yeux en amande, les lèvres joliment dessinées, et un grand nez orné d’une bosse que je trouve touchante. C'est son trait physique que je trouve le plus beau, le plus singulier. Elle a de grandes boucles brunes dans lesquelles je veux passer ma main. Je me retiens. Elle porte une robe rouge, elle est maigre, elle me plait. On a l’air de se connaître. Elle parle vite et fait de grands gestes vifs avec ses bras, comme pour compenser sa modeste charpente. Une expression de gaité démonstrative. Elle rie fort, et saute sur les matelas en mousse afin de nous faire tanguer et perdre l’équilibre. Elle saute d’un matelas à l’autre, navigant entre les mondes. 
Elle se dresse d’un coup et tend l’oreille. Elle perçoit un son. Un groupe de garçons entre dans la piscine. Leurs voix et cris résonnent, ils prennent trop de place et nous écrasent. Elle me dit que c’est son équipe de “foot sur mousse”, et qu’il vaudrait mieux que l’on se cache. Nous trouvons un troupeau de stalagmite à proximité, et nous installons sur un des matelas, logé a l’abri des regards. Les garçons s’approchent, ils ne vont pas tarder à arriver jusqu'à nous. Elle me regarde, et me dit que la seule solution que nous avons pour disparaître complètement, est de fondre l’une dans l’autre. Elle s'allonge sur moi. Je me réveille.
Brodé, taché, déchiré, personnalisé, depuis son utilisation ancrée dans le quotidien depuis longue date, le drap a toujours été détenteur d’une partie de notre identité. Que ce soit par sa matière, les broderies qui l’ornent, ou sa taille, le drap en dit beaucoup sur le statut de son propriétaire. Principal témoin du rêve, nous lui partageons une intimité physique qui le rend récepteur des énergies de notre inconscient. Cela fait de lui le support idéal pour y illustrer mes propres rêves. 
J’ai eu à me procurer des draps en grande quantité afin de mettre en œuvre mon projet. J’ai donc passé beaucoup de temps à chercher des draps anciens, brodés à la main. Il était important pour moi que les draps soient beaux, anciens, et témoignent de leur vécu. En échangeant avec les vendeuses, beaucoup me partagent des souvenirs de ces draps, de leur histoire, des broderies, de l’attache sentimentale, et des rêves qu’elles y ont faits. Elles sont curieuses et elles sont sensibles. Elles sont les filles et petites filles de ces femmes ayant brodés ces draps avec soin, et se réjouissent de voir ces draps réinventés et utilisés comme support de création. Elles font autant partie de ce projet que moi. En amassant ces montagnes de rêves, me noyant dans ces draps, j’ai l’impression de me retrouver au lavoir avec ces femmes, avec nos ancêtres. 
Il était important pour moi de trouver un procédé qui rendrait chaque œuvre unique, un procédé artisanal et signifiant. Il est important de travailler de ses mains et d’expérimenter. Que ce soit à travers le jardinage, la construction, la peinture, ou la cuisine, il me parait essentiel de lier le corps et l’âme dans une création. Les photographes aujourd’hui passent un temps excessif devant un ordinateur, et dans des studios en intérieur. La création artistique est une représentation de la structure de l’âme. Mon épanouissement personnel est dans le nature, sous les rayons solaires, à la campagne. Je souhaitais utiliser ces énergies naturelles pour révéler mes images.  Je voulais que mes images soient révélées sous les rayons du soleil, le matin, tel un rêve découvert au réveil, à l'arrivée des premiers rayons. Que mes images soient en symbiose avec les rythmes corporels et cérébraux, afin de donner à mes images une dimension humaine et organique. J’ai donc opté pour le cyanotype, un procédé chronophage et demandant une grande rigueur, une persévérance, une répétition et une obsession. Une remise en question constante, une proximité à l’image à chaque stade de production, pour ne pas que les souvenirs de ces rêves ne basculent dans l’oubli.
Chaque rêve est une histoire que je vous raconte de moi, de mon enfance, de mes parents, de mes ancêtres, en espérant que ces images résonnent avec vous. Je ne sais pas toujours quelle histoire je vous raconte, mais elle est là, je vous l’offre. Ce sont des histoires de plaisirs comme de violente frustration, et de nostalgie comme d’espoir. J’aimerais pouvoir un jour léguer ces récits à mes petites filles, et qu’elles puissent à leur tour créer et offrir à leurs progénitures un morceau de l’histoire des femmes, avec les pouvoirs de la création. C’est ainsi que je vous propose mes fables violentes, condensations de générations de femmes, à travers mes voyages nocturnes.  J’espère que vous aussi, prendrez le temps de transmettre aux personnes autour de vous, les résultats de vos nuits de sommeil.
 
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